Préquel #1 : Le Règne des Anciens

Le Règne des Anciens

Sommaire :

- Episode 1 : Le royaume des Anciens
- Episode 2 : La magie noire
- Episode 3 : La guerre de feu
- Episode 4 : La chute des Anciens
- Episode 5 : La fin d'un règne

On dit que les plantes ont une croissance bien meilleure si on leur parle. Qu’elles sont douées de leur propre conscience et d’une sensibilité qui rendraient jalouses les créatures plus évoluées. Alors imaginez des fleurs qui chantonnent au bord des chemins... Des arbres qui discutent gaiement entre eux… Imaginez des chênes parlant de météorologie, des ortis et des fougères ragotant sur les habitants de la forêt, des pins jouant à qui sera le plus grand, des noix et des noisettes bavardant de ce qu’ils feront quand elles seront de solides arbres… Et maintenant, si je vous racontais qu’il y avait encore plus incroyable…

Soyez assez imaginatif ou peut-être assez fou ou rêveur pour admettre l’existence de pierres aux propriétés étonnantes. Des cailloux qui chantent, des montagnes qui philosophent sur l’espace et le temps. Imaginez les grandes discussions entre un roseau et une grenouille, les débats magistraux entre un lapin et un brin d’herbe. Tout un monde étonnant, équilibré et rempli de merveilles. Sommes-nous suffisamment détraqués pour croire à l’existence d’un tel univers?

Bien sûr que non… Notre monde était jadis un monde encore plus merveilleux que celui dépeint par de vieux livres oubliés. C’était une époque de diversité, de partage et de créatures plus magnifiques les unes que les autres. Tout avait sa place, tout faisait partie d’un grand équilibre presque sacré. Les grands dragons fendaient encore les cieux. Leur ombre inspirait à la fois la crainte et le respect. Tout n’était qu’harmonie et sérénité. Le monde était encore empli de magie. Le Soleil, la Lune, les Étoiles, la Terre, le Ciel et l'Océan, telles étaient les six sources primaires dont dérivait la magie. Un monde oublié que les anciens livres détaillent si mal...

Du plus loin que remontent nos connaissances, les humains ont toujours fait partie de cet univers. Les traces écrites ont été détruites pour la plupart et perdues pour ce qui en restait. Une partie de notre histoire qui tomba à jamais dans l’oubli, faute de trouver des sources fiables. Tout ce qu’on en sait, c’était que les humains faisaient malgré tout partie de ce monde enchanteur.

Difficile de dire à quel moment la situation a dérapé. Ou quel morceau de notre évolution nous a fait prendre une branche différente de celles des autres créatures. Mais la réalité est tout aussi terrifiante que décrite dans les anciens ouvrages. Les humains se séparèrent peu à peu de la magie. Ou bien était-ce la magie qui se séparait peu à peu des humains? L’un comme l’autre, les conséquences furent les mêmes pour tous. Les humains perdirent leurs facultés magiques et la magie primitive leur devint inaccessible. Leurs oreilles cessèrent peu à peu d’entendre les chants de la nature. Leurs yeux devinrent peu à peu aveugle à toute la beauté du monde. Et leur cœur se remplit de jalousie et de noirceur.

Voyant l’écart se creuser entre l’humanité et les créatures magiques, les humains prirent deux voies différentes. Certains abandonnèrent toute idée de retrouver la magie un jour et s’accomodèrent de leur nouveau statut d’être non magique. Quand bien même ils avaient perdu toute faculté surnaturelle, leur existence en ce monde était toujours bien réelle. Leur évolution les avait fait prendre une autre direction sans pour autant les vouer à disparaître. Ils étaient toujours en vie et en bonne santé. Mieux valait donc aller de l’avant plutôt que de se morfondre sur un don perdu. Cette branche se dirigea dès lors vers une toute autre forme de connaissance : l’avancement de la technologie. Les humains avaient certes perdu une partie de leur essence. Cependant, ils avaient toujours leur cerveau à l’imagination débordante pour compenser le manque de magie. Ainsi, ils devinrent sans doute la race la plus évoluée technologiquement parlant.

En revanche, une minorité refusaient l’acceptation de leur semblable à vivre sans magie. Se passer de l’essence même de ce monde leur était impossible, insoutenable. Ils niaient toute la vérité et fermaient les yeux leur nouveau statut d’être non magique. C’était impensable, inconcevable. Pourquoi étaient-ils les seuls à voir leur propre magie disparaître? Cette branche était catégorique. Ces humains rejetaient leur propre évolution et ne comptaient pas abandonner ce qui rendait ce monde si particulier.

Ce groupe d’humains chercha longtemps une solution. Durant des dizaines et des dizaines d’années, paraît-il. Certains parlent même de siècles… Mais il n’y a que l’Homme pour quantifier le temps. Alors, le temps exact de recherche reste vague et imprécis. Les historiens se sont juste accordés pour dire que les Mages - le nom qu’on a donné à ce groupe de recherches bien plus tard - ont cherché très longtemps une solution à cette absence de magie chez les humains.

Tous les trouvèrent assez fous pour se lancer dans une quête aussi absurde. Des êtres totalement dérangés, rongés par une soif de connaissances qui les dépassaient. Ils étaient tiraillés par ce manque et tentaient par tous les moyens de le combler, de trouver une issue à cette cruelle dépendance. Ils furent longtemps pris pour des cinglés, pour des vieux incapables de changement, qui vivaient encore dans une époque révolue. Si seulement ils étaient restés à l’état de détraqués du ciboulot cherchant en vain un remède à leur mal-être…

L’humanité prit un sacré revers lorsque les Mages annoncèrent avoir trouvé une solution à la disparition de magie chez l’Homme. Certes, ils n’ont jamais mis le doigt sur la cause elle-même. Ce fut une question qui tomba rapidement dans l’oubli car ils avaient trouvé un antidote à ce destin que tout le monde semblait avoir accepté. Mais eux… Non, jamais ils ne renoncèrent. Et leurs efforts furent récompensés, à la hauteur de leurs attentes.

Non… Les Mages n’avaient pas trouvé la panacée contre le virus anti-magie qui touchait toute la race humaine. En revanche, ils avaient découvert une autre forme de magie, complètement à part des six sources primaires. Le secret sur son origine fut jalousement gardé par les seuls détenteurs de ce savoir. Mais elle était bien là, cette magie que tous les mages attendaient désespérément. Une magie faite d’ombres et d’obscurité qui demandait quelques sacrifices notoires. Mais c’était le prix à payer pour pouvoir user de la magie au même titre que toutes les autres créatures peuplant ce monde. Qu’étaient ces offrandes pour un être humain? Ce n’était pas eux la source primaire. Les Mages n’étaient que des catalyseurs. Cette magie noire… était alimentée par l’essence vitale des animaux et des créatures magiques...

L’absence de magie avait déjà creusé un fossé entre les humains et les autres créatures magiques. Bien que l’avancée technologique de l’humanité fut surveillée de près par les grands dragons, elle ne fut pas bannie pour autant. La plupart des créatures magiques avaient conscience que les humains devaient compenser cette terrible perte. Alors, dans toute leur bienveillance, les dragons ne s’opposèrent pas à l’instinct créatif des humains. Au contraire, certains d’entre eux aidèrent même à la construction d'un royaume plus humain grâce à leur feu destructeur et créateur, comme le dragon primordial de la terre. Le plus apte sans doute à comprendre la douleur de ce manque et leur besoin de reconstruction.

Le groupe des Mages resta dans l’ombre, à l’abri du regard perçant des grands dragons, parfaisant leurs connaissances de leur magie noire. Les Anciens durent le sentir tôt au tard. Quelque chose ne tournait pas rond. L’équilibre du monde avait l’air de vaciller. Ils le sentaient… Ils se mirent donc en quête de cette menace grandissante jusqu’à ce qu’ils découvrent la sinistre vérité. Ce furent les dragons eux-mêmes qui qualifièrent cet art d’interdit. Et depuis cette époque, les termes Magie Noire laissèrent la place à la Magie Interdite.

Les Anciens auraient très bien pu passer ce terrible secret sous silence si seulement les Mages noirs avaient gardé leur terrible découverte pour eux-mêmes. Mais voulant bien se faire voir de l’humanité tout entière et permettre à leur propre espèce de prospérer, ils développèrent leur art pour le bien-être humain. Ainsi, ils partagèrent leurs savoir-faire en aidant la population aux aboies. Leur cause parut juste au départ. Supprimer la famine en faisant pousser les récoltes plus rapidement. Construire des bâtiments sans l’aide d’une immense armée d’ouvriers. Créer des artefacts magiques qui facilitaient la vie quotidienne des humains. Depuis lors, les Mages furent soutenus par l’humanité. La Magie noire s’en retrouva de plus en plus utilisée. Mais était-ce réellement de la bienveillance, sachant que derrière ce sentiment altruiste se cachait le massacre d’êtres magiques sans défense...

A la suite de cette monstrueuse découverte, les dragons primordiaux tentèrent de convaincre les humains d’abandonner cette magie funeste. Elle n’avait pas sa place dans ce monde. Elle n’amenait que le chaos et la destruction. Est-ce que les humains écoutèrent? Que d’une oreille… Les Mages étaient bien trop accaparés par leur nouveau savoir qu’ils en oubliaient totalement les règles élémentaires de l’univers. Et les voyant ainsi si aveugles à la souffrance du monde, les dragons n’eurent pas d’autre choix que d’exiler la race humaine dans un coin du continent. Ils les laissèrent seuls avec leur dédain du monde, protégeant le reste des créatures magiques de leur côté.

Autant dire que les humains le virent d’un mauvais œil. D’autant plus que leur magie leur permettait d’accomplir des actions impensables auparavant. Mais sans carburant, leur nouveau don n’était plus utilisable. Et en être une fois de plus privés était tout bonnement intolérable. Les humains n’entrèrent pas en guerre à proprement parler. Cependant, ils tentèrent de grappiller du terrain pour continuer à se développer, menant de temps à autre des assauts pour se fournir en combustible à magie. Les Anciens ne restèrent pas indifférents et essayèrent de convaincre une fois de plus les humains d’abandonner la Magie Interdite. En vain…

Les voyant beaucoup trop aveuglé par cette soif de pouvoir, les dragons n’eurent pas d’autres choix que d’entrer en guerre… Ils ne pouvaient se permettre de laisser les humains menacer l’équilibre de leur monde. Puisque les pourparlers ne fonctionnaient guère, ce fut les humains qu’ils menacèrent directement. Abandonnez la magie, ou la destruction et le chaos s'abattront sur votre peuple. Le choix fut rapidement fait. Et non dans le bon sens du terme.

Témérité, ignorance ou stupidité? Sûrement un mélange des trois… L’Humanité tenta de relever le défi lancé par les dragons primordiaux. Avec leur nouvelle magie, les humains avaient toutes leurs chances de tenir tête au feu destructeur des dragons. Quelle idiotie de s’élever contre les dragons? Ce fut un carnage. Les Anciens, menés par Ravi l'Étincelant et Chaand le Pâle, balayèrent les hommes du revers de leur souffle ardent. Qu’avaient-il cru? Qu’ils auraient eu la force de se mesurer aux maîtres de ce monde? Fadaises… Et pourtant…

Aakaash l’Indomptable, dragon du ciel, fut le premier à tomber. Jusqu’à présent, rien n’avait su entailler leur armure d’écailles. Les blessures causées par les armes des hommes n’étaient que des égratignures. C’était sans compter les perfides machinations des Mages. Ils mirent du temps. Mais pendant que le reste de l’humanité servaient de chair à canon et de diversion, ils avaient eu l’occasion de mettre au point une arme de guerre, complètement créée avec leur magie contre-nature. Une lance aux allures providentielles pour les humains. Une lance à l’aura somptueusement mortelle pour les Anciens. Six lances, six dragons…

Tout juste six… Pas une de plus… Elles avaient demandé bien trop de sacrifices à leur création pour se permettre d’en produire plus. Les Mages n’avaient donc pas le droit à l’erreur ni aucune porte de sortie après un échec. Et ce fut le dragon du ciel qui fut témoin de sa puissance ravageuse. Le plus téméraire, le plus audacieux. Il méritait bien son patronyme. Ce fut lui qui prit les devants en partant en premier livrer bataille contre l'humanité. Ce fut lui qui étoufferait dans l’œuf cette stupide rébellion et qui anéantirait cette horrible magie noire. Trop indomptable pour écouter ses frères, il en paya de sa vie.

La lance ne le rata pas… Pile dans la poitrine. Et ce qui en suivit dépassait les attentes les plus folles de tous les mages. Il est dit que le dragon sembla étourdi dans un premier temps avant que sa gueule ne se remplisse de sang. Puis, un trou béant se forma au niveau de son poitrail. La chair devenait noire et tombait en lambeaux, comme si la bête pourrissait à vue d'œil. Le mal se propageait à une vitesse hallucinante, dévorant et détruisant la moindre parcelle de vie. Le corps entier du dragon semblait fondre là où la noirceur se répandait. Ses cris d’agonie emplissaient toute la vallée. C’en était insupportable. Puis, il cessa finalement de geindre. Il se laissa tomber dans un silence presque religieux. Sa chute fit trembler la terre et souleva le cœur des hommes ici présents. Il n’en resta bien vite qu’un cadavre de chair fumante où les muscles continuaient de se liquéfier en masses noirâtres sanguinolentes.

C’était fait… Ils avaient réussi à commettre l’impensable...

A la suite de cette réussite - ou tragédie selon les points de vue, les humains s’enhardirent et se crurent invincibles. Dharatee la Douce, dragon de la terre, fut la suivante à trouver la mort. Saagar le Vif, dragon des profondeurs océaniques, était le second visé pourtant. Lui qui abattait ses torrents ravageurs sur l’ennemi, il se retrouva face à la dragon terrestre qui s'interposa entre les deux camps. Son cœur était tendre. Et avoir côtoyé les humains de si près lui avait appris à les apprécier. Alors, pourquoi ne pas trouver un compromis qui mettrait tout le monde d’accord? Ils avaient bien réussi à vivre ensemble jusqu’à présent. Peut-être y arriveraient-ils de nouveau? Elle refusait de voir ses frères et les humains se déchirer. Il y avait déjà eu assez morts ainsi.

Touchés par son discours, les humains cessèrent tout acte de guerre. L’Ancien, lui, semblait indécis. Attaquer et se venger pour la mort du dragon du ciel? Ou écouter sa sœur dragonne et tendre la main à une espèce si changeante? L’amour inconditionnel de la Terre Mère était le meilleur remède contre les terribles ouragans qui voilaient le cœur de l’océan. L’eau et la terre avaient toujours été en communion. Il en serait de même dans cet accord.

Une erreur accidentelle? Une maladresse aux terribles conséquences? Un acte délibéré? Un assassin qui attrapa au vol la chance qui s’offrait à lui? Qui sait ce qu'il s’était réellement passé dans la tête de l’humain aux commandes de la baliste. La lance lui échappa et… manqua sa première cible. Saagar s’éleva dans les airs en grondant suite à cette attaque surprise. Là seulement, il comprit toute l’étendue de la situation. Il n’avait pas été touché parce que la dragonne de la terre s’était une nouvelle fois interposée. Pour prendre la lance à sa place…

Tout comme le premier Ancien, son corps commença à se décomposer autour de la plaie. La chair tomba en miettes, comme calcinée ou pourrissante. Assistant à cet événement sans pouvoir rien y faire, le dragon des océans entra dans une colère noire. Pas de pitié… Dans un acte de folie et de désespoir, Saagar fondit sur les humains en quête de vengeance et de carnage. Il finit par tomber lui aussi de son trône…

Voyant le vent tourner, les derniers Anciens décidèrent de tenter le tout pour le tout en éliminant le centre névralgique de l’opposition humaine. Ils se devaient de détruire toute connaissance de cette immonde magie en réduisant en cendre la grande bibliothèque des Mages. Ce fut la plus grande ville humaine qui prit cher ce jour-là. L'humanité subit des dégâts importants durant toute la guerre. Mais peu importait… Les humains avaient déjà été trop loin pour rebrousser chemin. Leur incroyable ténacité et leur adaptabilité extraordinaire leur permettraient toujours de se relever. Quoi qu’il arrive…

Ravi l'Étincelant et Chaand le Pâle menèrent le dernier assaut en désespoir de cause. Chaos et destruction, tels étaient leurs maîtres mots. Au bout d’un combat acharné, ils furent finalement destitué de leur piédestal. Sitaara la Discrète, qui avait pris part à la plupart des conflits, s’était peu à peu mise en retrait. Blessée lors du combat final, la dragonne des étoiles se mit hors de portée des lances diaboliques des humains. Un immense brasier engloutissait la ville entière. Les cris d’agonie des habitants, fondant sous le terrible souffle des dragons, étaient difficiles à supporter. L’odeur de chair calcinée était répugnante. Elle assista horrifiée à la chute de ses deux derniers frères. C’en était trop… La dragonne profita de l’épais panache de fumée pour s’envoler. Le dernier des Anciens venait de disparaître sans laisser de trace.

Et dans toute cette agitation chaotique, la dernière lance lui étant destinée disparut à jamais dans les flammes des derniers dragons...