Un moment de détente

Quel plaisir de se retrouver si loin de la cour du palais ! Loin de ses obligations de chevaliers… Loin de l’ambiance maussade qui régnait dans la salle du conseil… Loin de tous ces peigne-cul et ces vautours gravitant autour de la royauté. Non pas que la wyverne plaçait l'impératrice et son frère dans ce panier-là… Mais tous les nobles de la cour n’étaient pas aussi bienveillants et attentionnés que Faelanore. Beaucoup tentaient de gratter les meilleurs partis et les plus beaux statuts, comme des chiens qui se disputaient un cuissot de porc bien gras. Leur hypocrisie se sentait à des kilomètres. Mais étant des nobliaux fidèles à l’Empire, impossible de les refouler sur le seuil du palais. Il fallait contenter tout le monde et jouer de manières mielleuses et de politesses doucereuses.

Ce qui n’était pas le cas du grand lézard volant. Les entendre jacasser et se plaindre à longueur de journée l’agaçait au plus haut point. Comme des enfants incapables d’agir par eux-mêmes et attendant qu’on leur donne la becquée. Sauf qu’il s’agissait d’adultes tout à fait capables de s’auto-suffire et de se gérer eux-mêmes. Là où certains n’y voyaient que de la patience et une charge de travail, Valery y voyait une forme de courage. Il fallait avoir du cran pour écouter les jérémiades de la cour - surtout celles des riches qui semblaient illégitimes - tout en gardant son calme et en faisant preuve d’une générosité parfois feinte. Là où la créature était cash et sans détour, l’impératrice savait manier les mots avec délicatesse et subtilité. Ses paroles étaient bien souvent pleines de promesses d’actions. Une exquise carotte tendue pour contenter ces estomacs avides et les obliger à avancer dans la direction désirée, sans avoir à recevoir une rude par-derrière.

Bien que son travail consistait à protéger Faelanore - et donc à subir les travers de la cour, la wyverne appréciait aussi se trouver loin de l’univers tumultueux des humains. Se retrouver seul, à voler haut dans le ciel. Personne pour venir lui chercher des embrouilles… Personne pour se plaindre… Personne pour le regarder de travers… Juste les nuages comme témoins silencieux, le vent sifflant et s’insinuant entre ses écailles, l’air qui claquait à chacun de ses battements d’ailes. Un havre de paix et de tranquillité, où le monstre ailé pouvait s’adonner à son plus grand plaisir : simplement voler en toute liberté. Même les dirigeables ne volaient jamais aussi haut que lui. Sa taille et son endurance lui permettaient d’accéder à des hauteurs célestes que peu de créatures pouvaient se targuer d’atteindre.

Ainsi là-haut, le simili-dragon pouvait s’amuser avec les alizés et jouer avec les nuages cotonneux. La caresse des rayons du soleil sur ses écailles était un véritable plaisir lorsqu’il faisait beau. La fraîcheur des hautes altitudes et la diminution relative d’oxygène à mesure qu’on montait lui donnaient l’impression d’être plus vivant que jamais. Planer, se laisser tomber, ressentir la vitesse de ses chutes pour mieux savourer l’effort de la remontée dans le ciel, toujours plus haut… Toutes des sensations que seuls les êtres ailés savaient apprécier. Et si la wyverne volait de nuit, elle avait tout le loisir de jouir d’une vue imprenable sur la voûte étoilée. Étant une créature nyctalope, voyager dans l’obscurité nocturne n’était pas un problème. Même au plus haut des cieux… Ce qui lui offrait la possibilité d’admirer la beauté des étoiles d’un peu plus près.

Quand le ciel était complètement dégagé, d’un bleu azur et sans aucun mouton duveteux, le paysage en contrebas était tout aussi magnifique. La terre vue d’en haut offrait un tout autre spectacle. La végétation n’était plus qu’un amas de broussailles informes mais dont les tons de vert et de brun se mariaient à merveille. Comme si un artiste céleste s’était amusé à mélanger et à unir toutes ses teintes pour former une grande toile harmonieuse et abstraite. Que seuls ceux qui voyaient au-delà des apparences et qui goûtaient à la simplicité pouvaient en savourer toute la somptuosité. Les châteaux, les villes et les villages si miniatures ressemblaient à des jouets pour enfants. Et même dans ses hauteurs, la wyverne parvenait à observer toute l’agitation du monde humain. Voir la population travailler, se mouvoir et entretenir des relations, comme une myriade de fourmis grouillant et unissant leur force pour tendre vers des objectifs communs. De là-haut, l’Empire ne semblait pas si mauvais. De là-haut, la créature du ciel pouvait observer toute la splendeur d'une civilisation en plein essor. Et elle se plaisait à croire, à force d’observer ces humains, que quelque chose de bien pouvait réellement ressortir d’un tel peuple.

Valery affectionnait ces moments de détente, où il pouvait prendre le temps de se sentir libre. Où il pouvait simplement prendre le temps d’exister pour ce qu’il était. Et non comme un chevalier au service de l’Empire ou comme un monstre effrayant. Ses obligations disparaissaient, le monde dans lequel il vivait s’effaçait. Il ne restait plus que le ciel et lui, et toute la magnificence et la richesse d’un univers sur lequel on fermait bien trop souvent les yeux. La wyverne chérissait ces moments bien trop rares ces derniers temps. Mais c’était d’autant plus qu’elle les aimait et qu’elle en profitait. La rareté de ses sorties aériennes la faisait vibrer. Et le chevalier en ressortit d’autant plus apaisé, détendu et satisfait de son existence. Il se sentait tout simplement vivant…


[HRP : J’ai placé mes 5 mots   ]